Une femme en attente d’un transfert d’embryon est protégée contre le licenciement non parce qu’elle est enceinte mais parce qu’elle pourrait être victime de discrimination. C’est la décision inédite qu’a rendue la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), le 26 février dernier. Une salariée, serveuse dans un établissement autrichien, a recours une fécondation in vitro...

Après avoir subi le traitement hormonal et la ponction folliculaire nécessaires, elle est mise en congé maladie pour une durée d’une semaine. Le deuxième jour de l’arrêt de travail, son employeur la licencie. La salariée demande la nullité de cette décision, les dispositions de la loi autrichienne interdisant le licenciement de toutes femmes enceintes. Elle obtient gain de cause en première instance : la grossesse se constate dès la fécondation des ovules. Mais elle perd en appel : les juges estiment que la grossesse ne peut se concevoir en dehors du corps de la femme. Selon eux, conçue in vitro, la femme n’est enceinte qu’à compter de l’implantation de l’œuf. Finalement, la Haute Cour autrichienne refuse de se prononcer et saisit les juges communautaires afin qu’ils interprètent les directives réglant la question.
Deux textes leur permettent de répondre: le premier, la directive du 19 octobre 1992 organise la protection de la femme enceinte contre le licenciement ; le second, la directive du 9 février 1976, impose aux Etats membres de mettre en œuvre l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

Ecartant le premier texte, les juges choisissent de protéger la femme sur le fondement du second: commet une discrimination l’employeur qui licencie une salariée pour la seule raison qu’elle attend le transfert d’un embryon. Cette décision n’est pas étonnante. Rappelons que, selon la directive du 9 février 1976 « le principe de l’égalité de traitement (…) implique l’absence de toute discrimination fondées sur le sexe, soit directement soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ». Au sujet de la femme enceinte, la jurisprudence de la CJCE se veut tout aussi claire: « le licenciement d’une travailleuse pour cause de grossesse ou pour une cause fondée essentiellement sur cet état ne peut concerner que les femmes et constitue, dès lors, une discrimination directe fondée sur le sexe » (par ex., CJCE 8 novembre 1990). Forts d’une telle analyse, les juges communautaires décident alors d’élargir cette protection à la femme en attente d’un transfert d’embryon: « le licenciement d’une travailleuse en raison essentiellement du fait qu’elle se soumet à ce stade important d’un traitement de fécondation in vitro constitue une discrimination directe fondée sur le sexe ».

Si elle remplit son office, cette décision semble avoir été rendue par défaut : faute d’outils juridiques adéquats, les juges ne sont pas parvenus à protéger la femme en attente d’un transfert d’embryon au même titre que la femme enceinte. Les juges justifient cette impuissance par un raisonnement simple : puisqu’il est possible de conserver les ovules fécondés pendant dix ans, on ne peut envisager de protéger la femme soumise aux méthodes de procréation médicalement assistée (PMA) pendant toute cette période.

Ici, l’arrêt révèle le retard du droit par rapport aux techniques de procréation. On regrettera que l’Europe n’ait pas prévu de protéger spécifiquement la femme qui se soumet à des traitements perturbants voire pénibles pour parvenir à une grossesse. La jurisprudence communautaire justifie la mise en place d’une protection particulière accordée à la femme enceinte par le « risque qu’un éventuel licenciement fait peser sur la situation physique et psychique des travailleuses… ». Dans cette perspective, « c’est la date la plus précoce possible de l’existence d’une grossesse qui doit être admise pour assurer la sécurité et la protection des travailleuses ». Combien de temps faudra-t-il au droit pour inscrire les nouveaux moyens de procréation dans cette logique de protection?

Le droit français n’offre pas d’éléments de réponse. La jurisprudence permet à la femme enceinte de faire annuler rétroactivement la décision de licenciement dès lors qu’elle présente à son employeur un certificat de grossesse dans un délai de quinze jours. Et même, lorsque ces formalités n’ont pas été respectées, il lui suffit de prouver que l’employeur avait connaissance de son état pour faire annuler son licenciement. Et dans le cas d’une fécondation in vitro ? Il est bien difficile de savoir si la salariée ayant bénéficié d’une PMA ayant rapidement abouti pourra faire rétroactivement annuler son licenciement.

Finalement, en préférant protéger la femme en attente d’un transfert d’embryon sur le fondement de la discrimination plutôt qu’en raison de sa grossesse potentielle, la CJCE rend une solution d’évidence. Toutefois, elle montre à quel point le droit manque d’outils en matière de procréation. On en avait déjà eu une illustration dans le fameux arrêt du 6 février 2008 où la Cour de cassation acceptait maladroitement de donner une identité civile à un fœtus de quelques semaines. C’est ce manque qui conduit la CJCE à écarter une protection fondée sur la grossesse, affaiblissant ainsi la protection de la femme en attente d’un transfert d’embryon. Il est d’ordinaire plus simple d’apporter la preuve d’une grossesse que d’une discrimination ! On peut ainsi se demander si la solution retenue ne met pas au jour une autre sorte de discrimination conduisant à mieux protéger les femmes qui peuvent naturellement procréer au détriment de celles qui nécessitent d’être assistées. In vivo, on est enceinte dès la fécondation ; in vitro, c’est l’implantation qui détermine le début de la grossesse.