Non, les femmes n'ont pas le monopole de la déprime postnatale. On s'en doutait, voilà que quelques études commencent à le confirmer. Si la recherche sur la question demeure encore embryonnaire, il est toutefois grand temps de parler de cette réalité, trop peu souvent évoquée, disent les experts : oui, les pères, eux aussi, vivent de grands chambardements émotifs à la naissance d'un enfant. En cette fête des Pères, permettons-nous donc cette transgression, et parlons dépression...
 
Un sur 10. C'est le nombre de pères qui vivraient un vrai blues, une grosse déprime, à la suite de la naissance d'un enfant. Le petit blues, ce désenchantement temporaire, quant à lui, toucherait environ un homme sur deux.

C'est le cas de Martin Dubuc, 50 ans, père de deux jeunes enfants, de 4 et 1 an. «Non, je ne m'attendais pas à ça, c'est une grosse gifle, avoue-t-il tout de go. S'occuper de deux tornades, dit-il, c'est dur. Vu mon âge, ce n'est vraiment pas évident. Je suis extrêmement fatigué, j'ai des sautes d'humeur, je m'en rends compte.»

Martin avait pourtant bien fait ses devoirs. Il a suivi tous les cours prénatals, lu tous les livres indiqués. Jamais, au grand jamais, il n'aurait cru que les hommes, comme les femmes, traversaient un tel blues. «Pour les pères, ce n'est pas évident parce qu'on dirait qu'on n'a pas le droit de se plaindre. Il faut toujours être fort. Mais nous aussi, on a nos faiblesses...»

Si les études sur la question sont encore trop minces pour être scientifiquement concluantes, les chercheurs s'entendent pour affirmer qu'elles risquent de se multiplier dans les années à venir. Il s'agirait d'un champ de recherche en pleine émergence.

Qu'entend-on par blues paternel, au juste? «Une étude a mesuré l'évolution des hormones de stress chez le père et la mère, pendant les neuf mois de la grossesse. Il y aurait des parallèles entre les variations, explique Sonia Lupien, directrice scientifique du centre de recherche Fernand-Séguin à l'hôpital Louis-H. Lafontaine. Et s'il y a symbiose entre les variations hormonales chez le père et la mère pendant la grossesse, peut-être que, à l'accouchement, la symbiose se poursuit», dit-elle. Les fluctuations hormonales étant à la source du blues maternel, peut-être y aurait-il aussi des hauts et bas hormonaux paternels, quoique à plus petite échelle.

«Mais peut-être que c'est purement psychologique, croit la chercheuse. Moi, j'ai besoin de beaucoup plus de données pour croire à ça. Le concept est intéressant, mais est-ce que les connaissances sont très claires? Pas du tout.»

S'il manque encore de chiffres, d'analyses et de recherches d'envergure, c'est en grande partie parce que les hommes, en général, parlent très peu de ce qu'ils vivent, fait valoir le psychologue Yvon Dallaire, l'auteur d'Homme et fier de l'être n'a toutefois pas de mal à imaginer que certains hommes aient du mal à s'adapter à leur nouvelle vie.

«Du jour au lendemain, l'homme qui devient père perd l'exclusivité de son amante, et ce pour le reste de sa vie, dit-il. Chez certains, il y a aussi un sentiment de perte de liberté. Le fruit de notre amour peut aussi devenir une pomme de discorde si le père ne se sent pas reçu dans sa façon à lui de s'occuper de l'enfant.»

«Parfois, les casseroles volent bas»", reconnaît d'ailleurs Martin Dubuc, qui précise qu'il «commence à s'en sortir».

Hormonal ou pas, donc, il semble clair que plusieurs pères traversent un certain blues, voire une réelle dépression, déclenchés notamment par tous les «changements de vie» qu'ils doivent affronter, résume John Oliffe, professeur associé à l'école de soins infirmiers de l'Université de la Colombie-Britannique.

De simple amoureux, le jeune père peut se sentir transformé en pourvoyeur; il doit faire des choix difficiles entre sa carrière et sa famille; il se retrouve avec moins de temps libre, il a moins de temps avec sa conjointe. «Ce sont des transitions énormes, et les gars en parlent peu», dit le chercheur.

En prime, croit-il, Hollywood véhicule une image dorée de la paternité, à mille lieues de la réalité.

Benoit Duchaine en a fait les frais. Ce jeune papa de deux garçons de 3 et 6 ans et d'un bébé de 6 mois était un friand spectateur de l'émission Quand passe la cigogne, à Canal Vie. Résultat: «Tu t'attends à aimer ton bébé tout de suite, comme à la télé. Mais ce n'est pas la réalité. Tout ça, c'est faux», dénonce-t-il. Cela l'a un peu déstabilisé. «Je me suis posé des questions, avoue-t-il. Est-ce que je suis moins bon parce que je n'ai pas cet amour inconditionnel au bout de deux semaines?»

Que faire?

Comment se sortir d'un blues pareil? «Ce qui est naturel ne se soigne pas», reprend Sonia Lupien. Une petite déprime n'est donc pas inquiétante. Comme dans le cas de la nouvelle mère, toutefois, si cela ne se résorbe pas, mieux vaut consulter, préviennent les experts.

Et est-ce que cela se prévient, docteur? Contrairement au baby-blues maternel, largement documenté et auquel les femmes sont donc bien préparées, le blues paternel est encore bien peu souvent évoqué. John Oliffe propose aux futurs pères de mettre au point des stratégies pour ne pas être pris de court. «Définissez clairement vos attentes et votre engagement, définissez qui fera quoi à quel moment. Et prenez des rendez-vous avec votre femme...»

Source: www.cyberpresse.ca