Surdose de couches et de comptines, tâches répétitives, privation de sommeil. Dans tout ce brouhaha, les mères ont parfois l'impression de voir leurs capacités intellectuelles diminuer. Et si c'était l'inverse ? Des chercheurs avancent que, lorsqu'elles ont des enfants, les femmes résisteraient mieux au stress, amélioreraient leurs capacités d'apprentissage, leur mémoire et, du coup, développeraient une efficacité multitâche sans précédent. Bonne fête maman !...

Collaboratrice au New York Times et lauréate du prix Pulitzer, Katherine Ellison a longuement hésité avant d'avoir des enfants. «Une partie de notre cervelle fiche le camp avec le placenta», l'avait prévenue une amie. La journaliste craignait de se transformer en «femme enceinte gâteuse qui pleurniche devant les pubs de Kleenex» ou en «mère désemparée qui n'a plus rien en tête en dehors des listes de courses et des horaires de covoiturage».

Question de rassurer les mamans et de combattre les préjugés, Katherine Ellison a écrit Le cerveau des mères ou comment la maternité rend les femmes plus intelligentes, disponible depuis peu en français. Aujourd'hui mère de deux garçons, elle rapporte dans son ouvrage les dernières découvertes en neurosciences sur le cerveau de la mère.

«D'un point de vue neurologique, avoir un enfant constitue une véritable révolution. Il n'y a rien de mieux pour le cerveau», indique Michael Merzenich, spécialiste du développement du cerveau à l'Université de Californie, cité par l'auteure.

«C'est vrai, ça? Et après combien d'enfants la folie prend-elle le dessus?» blague Élisabeth Boily au bout du fil, avant de couper court à la conversation. Il est 11 h, la maman de six enfants, âgés de 4 mois à 14 ans, doit aller chercher des marmots à l'école, changer une couche, allaiter son dernier et préparer le dîner pour la marmaille. On lui demande souvent comment elle fait. «Ça vient tout seul, nous assure-t-elle en soirée, une fois ses petits au lit. Ma capacité parentale a grandi d'un enfant à l'autre, je suis plus calme et je me fais davantage confiance. Je crois que la nature nous donne ce qu'il faut. Est-ce une forme d'intelligence? Probablement. En tout cas, mon bagage de mère ne m'a pas rendue débile, au contraire.»

Plongé dans un bain d'hormones reproductives et soumis à des expériences émotionnelles intenses - comme l'accouchement et l'allaitement -, le cerveau de la mère se transforme physiquement. Il développe de nouveaux neurones pour affronter un environnement soudainement plus exigeant. «Dans l'histoire animale, le cerveau de la mère est programmé pour assurer la survie de ses petits, leur trouver de la nourriture, se rappeler où celle-ci se trouve, s'assurer que l'endroit est sécuritaire et éviter les prédateurs», explique Craig Kinsley, professeur en neurosciences, joint à son bureau de l'Université de Richmond, en Virginie. Il a été l'un des premiers scientifiques à suggérer, dans les années 90, que le rôle de mère a des effets positifs sur les facultés mentales féminines. Ils sont aujourd'hui plusieurs dizaines dans le monde.

«Chez les rats, nous avons constaté que les sens de la mère sont plus aiguisés durant la grossesse et lors du contact avec le nouveau-né, tandis que sa mémoire et ses capacités d'apprentissage sont améliorées. La mère gère mieux le stress, tout en étant plus courageuse», souligne le Dr Kinsley. Les compétences sociales - ou intelligence émotionnelle - seraient aussi augmentées. Il en est de même chez l'humain, avance-t-il.

Auteure des Chroniques d'une mère indigne, Caroline Allard n'est pas surprise. La maternité l'a complètement changée. «Du jour au lendemain, je suis devenue très organisée, capable de faire 20 choses à la fois. Le sac à couches est l'emblème de notre intelligence organisationnelle, explique la doctorante en philosophie. Je suis plus productive au bureau, je gère mieux mon temps. Pas le choix: à 16h, je quitte le bureau. Je suis plus maternelle avec mes proches et mes collègues et, quand je vis un pépin au bureau, je relativise.»

Les effets sur le cerveau de la maman sont accentués lors d'un deuxième enfant. Claire-Dominique Walker, directrice de la recherche en neurosciences à l'hôpital Douglas, à Montréal, explique. «On peut s'imaginer que, lors d'un premier cycle de gestation, des changements s'opèrent dans un circuit. Une trace reste, le corps est rodé pour un deuxième cycle. C'est un peu comme le système immunitaire: après avoir combattu un virus, certaines cellules en gardent la trace pour y répondre plus rapidement et plus efficacement s'il revient. Chez l'humain, il y a aussi une dimension cognitive. La mère est déjà passée par là, elle sait que le bébé ne se cassera pas.» Elle réagit plus vite aux pleurs de bébé, produit plus de lait et est moins stressée.

Mieux outillée pour toujours, la maman? Oui, répond Craig Kinsley. Il a observé des progrès en apprentissage et mémoire chez des rates jusqu'à 18 mois après leur dernière portée. Chez l'humain, ça équivaut à 80 années! «Les mères âgées de 80 ans ont moins de risques d'alzheimer et leur cerveau semble en meilleure santé», souligne le chercheur.

Les mamans: meilleures gestionnaires, pompières moins stressées et journalistes plus productives? Pas sûr, dit Claire-Dominique Walker. «Les changements au cerveau sont favorisés et maintenus par la hausse d'hormones reproductives, axés sur l'enfant. Ils sont latents, ils disparaissent après l'allaitement et se manifestent seulement lors d'une nouvelle gestation. Après, on revient plus ou moins à la normale», précise-t-elle.

«Le cerveau de mère ne se transforme pas dans l'optique d'en faire une meilleure employée de bureau, mais il est possible que la mère tire avantage de son «nouveau cerveau» dans plusieurs sphères d'activités. On parle alors d'effets secondaires», croit M. Kinsley. Si les témoignages sont éloquents, les preuves manquent. Katherine Ellison, elle, en est convaincue: la maternité rend les femmes plus intelligentes.

Source: www.cyberpresse.ca